Qu’en est-il de Dieu?…

« Qu’en est-il de „Dieu” ?

Est-ce une invention, et si oui, de quel type: une œuvre géniale créée par l’imagination humaine, une découverte insoupçonnée, inimaginable, opérée par voie de révélation, une pure fiction construite sur fond de peur et de désir, un mensonge phénoménal concocté pour les naïfs? On peut opter pour une signification unique et s’y tenir sa vie durant, ou migrer d’un sens à un autre au fil du temps. On peut aussi déambuler sans fin, en zigzag et en spirale, autour d’une seule signification qui s’impose plus troublante et magnétique que les autres, pour l’interroger, encore et encore. Et si celle-ci, aussi sapée, criblée de doutes, de points critiques et de pénombres soit-elle, coïncide avec les données de la religion reçue en héritage par voie du hasard de la naissance, alors ce hasard se transforme progressivement en aventure, et l’aventure en destin, à force d’être sans cesse relancée, poursuivie. » Sylvie Germain

Comment devient-on ce qu’on est, par quoi et par qui? se demande l’écrivain Sylvie Germain.

«Il faut bien que la littérature y aille si la philosophie ne peut y aller», disait Montaigne. Sylvie Germain emprunte l’un ou l’autre chemin pour comprendre autant que faire se peut l’expérience de l’existence sur la terre au milieu des autres, et dans l’histoire, marchant sur des morts. Son inspiration est mystique; le soubassement de son œuvre, questionnement et quête. Les personnages frappent«l’os de son front» et sont là sans crier gare: l’inspiration l’éclaire. Le Livre des nuits, traversé par les lances de la barbarie, était la première manifestation littéraire de sa réflexion foisonnante. La voici sur le versant spirituel de son écriture. Rendez-vous nomades est un regard sur elle-même et une plongée dans le mystère. Trois colonnes de réflexions s’élèvent et le soutiennent. Sylvie Germain s’interroge  quels objets ont façonné son esprit? À quels thèmes donne-t-elle son attention? Qu’est-ce que lire et écrire? Ce faisant, elle nous nourrit avec abondance car sa pensée explore avec ferveur.

D’abord «l’état des lieux». Comment devient-on ce qu’on est, par quoi et par qui? se demande l’écrivain à propos d’elle-même. Car ne nous leurrons pas: nous recevons un lieu psychique où ancrer le sens. Nous sommes prédisposés à penser ou agir de telle ou telle façon. Tout en nous provient de l’extérieur et l’exercice de la liberté réclame un recul vis-à-vis des déterminismes biologiques, sociaux, historiques, psychologiques que nous subissons.

Dans son cas, le Livre, la Bible, constitue une «éminence fondatrice du paysage mental». Par le hasard de la naissance, elle reçoit le catholicisme. Et par sa date de naissance, l’inquiétude bouleversée qui suit les tragédies du XXe siècle. On ne naît pas impunément au mitan du siècle où se révèle l’échec de la culture à endiguer la violence, la barbarie et la haine de l’Autre, nous dit-elle. Notre espérance est anéantie, ceux qui auraient pu savoir n’ont pas réussi à croire, maintenant les rescapés nous côtoient, les bourreaux avérés ou cachés nous entourent. Mais les justes aussi. Assumant l’intranquillité de l’investigation intérieure, Sylvie Germain entend bien en tirer une leçon: une morale pour elle-même.

Recevoir et explorer le mystère

La réflexion se poursuit autour des mots qui «font problème»: scrupule, croyance, foi, Dieu, grandeur, réalité, imagination. Qu’est-ce que prononcer le mot Dieu? se demande l’auteur pour mieux différencier du religieux fanatique celui qui reçoit et explore le mystère. Utilité de la question de l’existence de Dieu, danger de la confusion entre grandeur et puissance, grandeur de la douceur. Comme nous sommes impressionnables! déplore Sylvie Germain, qui cite Tolstoï, Simone Weil ou Marguerite Porete, et interpelle Nicolas Grimaldi, le philosophe, quand il oppose la foi à l’intelligence. Désastre de la grandeur, intelligence de la foi, profusion de la moisson, répond Sylvie Germain.

Être en vie, c’est être en alarme. Écrire, c’est être en quête «d’un peu de compréhension de ce qui est humain», conclut Sylvie Germain.

Cet immense écrivain depuis longtemps nous le prouve par l’exemple. Elle nous bouscule en douceur. Elle nous est une conscience poète.

«Rendez-vous nomades», de Sylvie Germain,Albin Michel, 190 p., 15 €.

http://www.lefigaro.fr/livres/2012/02/08/03005-20120208ARTFIG00565-sylvie-germain-rendez-vous-nomades.php

 

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